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L'adresse aux tout-petits

On me pose souvent la question suivante :

Raconter aux tout-petits, à quoi ça sert ?

Lorsque je me suis aventurée sur les chemins du conte, je ne me suis pas posée la question de la césure entre le public des tout-petits, le jeune public et le public adulte.

 

 

Je n’ai par ailleurs jamais souhaité déterminer l’âge à partir duquel, le droit au spectacle devient légitime et indiscutable. Ce qui était important, à l’époque et qui l' est encore aujourd’hui c'est de partager un moment unique avec mon auditoire.

Le conteur est un artiste populaire, il doit pouvoir, s'il en a le désir et les dispositions, raconter au plus grand nombre.

Le travail d’observation pendant un an au sein d’une crèche, la rencontre avec les tout-petits a révélé chez moi la nécessité de partager avec eux, un moment émotionnel fort, l’envie de convoquer pour eux la rêverie poétique et l’enchantement.

Il me semble qu’au moment où l’enfant entre dans la vie, il est fondamental de lui donner la possibilité de choix.

 

Dans ma pratique, j’ai pu constater, que les tout-petits étaient doués d’une forte capacité d’écoute et d’attention et qu’ils manifestaient un plaisir intense à se réunir et à partager ici,

là et maintenant.

Ils montrent une vraie pertinence de lecture des signes, de la symbolique, de la gestuelle….

C'est un public attentif et exigeant. .

En allant au spectacle, l’enfant élargit sa perception du monde qui l’entoure.

Il prend ce qui le touche et ne gardera uniquement que ce qu’il aura “volé”, ce qui l’aura ému. Le reste ne pourra pas s’imposer.

Il aura choisi sans que personne ne le fasse à sa place. Il se sera approprié l’univers de l’artiste, son regard, pour se façonner sa propre vérité émotionnelle et sensorielle.

Emmener le petit sur les chemins de l’imaginaire, le confronter à lui-même, aux autres, à ses propres contradictions, à celles des autres, au monde qui l’ entoure feront peut-être grandir en lui sa part d’humanité.

Pourquoi ?

À l'endroit du tout-petit 

 

Il m’est apparu très tôt dans ma pratique de conteuse, presque

intuitivement, qu’il « fallait » que je sois à l’endroit où les êtres

sont encore si proches de leur naissance. 

Même s’il est un répertoire que l’on destine plus particulièrement

aux petits et aux tout-petits, (je fais allusion aux comptines et

formulettes) je me rappelle m’être interrogée sur cette langue

du récit, cette langue narrative. Je me posais la question :

Quelle genre d’histoires raconte t-on à un bébé ?

De quels mots est-il gourmand ? Comment tout cela doit-il

s’ordonnancer ? Comment faire du récit que l’on adresse à l’enfant petit,

un récit ciselé, fulgurant, puissant, abouti, exaltant qui réunit poésie,

sens, esthétique ? Comment faire, comme on le fait exactement quand on

s’adresse à des adultes ?                         

Il s’agissait pour moi de convoquer  la même exigence, la même rigueur. 

En observant les enfants, en m’inspirant de leurs jeux, de leur façon d’être au monde,

j’ai petit à petit élaboré un langage qui me  permet aujourd’hui, de rejoindre via les mots l’enfant petit. 

Là où il flirte avec cet essentiel qui lui permet de voir et de sentir pleinement,

avec à chaque fois un regard neuf et étonné, là où cette soif  inextinguible du monde le fait tenir debout.

Cela a engagé pour moi une  façon de ponctuer le temps, une quête de matière, 

de combinaisons, de formules intégrant rythme, cadence et prosodie pour tenter

de donner du goût aux mots. 

C’est en écoutant les enfants, en les regardant entrer dans la langue que j’ai trouvé le sensible de cette même langue. 

 

En renouant avec mon enfantin, je prends la mesure que tout ce que l’on qualifie de petit

est en réalité grand et qu’il n’y a pas de petites histoires, de petits chagrins ou de petites joies.

Il y a juste des histoires qui font grandir et même si ces histoires restent petites par la taille,

elles sont aussi faites pour être entendues par ceux que l’on appelle  "les grandes personnes",

afin de leur rappeler, comme un clin d’oeil que chacun se relie à l’autre par sa propre histoire,

dans une histoire commune qu’est la vie. 

« As-tu déjà entendu un bébé babiller dans son berceau?

Il imite à sa façon la parole des adultes qu’il entend autour

de lui. Il croit peut-être qu’il parle comme eux."

Michel Tournier Les Météores

Enfin, à l’instar des personnes, qui comme moi ont choisi de s’adresser aux petits, il n’y a pas non plus de petites femmes ou de petites 

conteuses qui racontent aux bébés parce que, ce serait « mignon ». Il ne s’agit pas de livrer aux « petites oreilles»des récits, juste parce qu’elles en

ont besoin, la parole conteuse doit, il 

me semble être aussi à cet endroit pour questionner les mystères et le choc de l’enfance afin d’appréhender aussi, les adultes que nous sommes. 

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